Quelle que génération que ce soit, il y a dans chaque famille ces rituels auxquels on devait se plier de plus ou moins bonne grâce.

Ainsi chez nous, si le dimanche matin nous échappions à la messe, il était impossible de se soustraire à l'émission Le Monde de l'accordéon, diffusée sur la première (et unique) chaîne puis sur TF1.
Car si mon grand' père bouffait du curé, pour cet accordéoniste amateur cette émission était la grand' messe dominicale, surtout depuis que ma grand' mère lui avait fait remiser son "crincrin" à la cave.

Parmi les grands noms du piano à bretelles, mon grand' père n'avait qu'un dieu : André Verchuren.

Chantilly le 26 avril 1991 - photo Francis Apesteguy/SIPA.

Jeunesse d'un virtuose de l'accordéon

Il s'en fallut de peu qu'André Verchuren ne devienne pas le plus grand accordéoniste français et il faillit même voir tout avenir lui être arraché.

Une affaire de famille

André Verschueren, de son vrai nom, nait en décembre 1920 dans l'Oise, dans une famille d'origine belge.
Son grand' père paternel, accordéoniste et vendeur de bijoux, vint s'installer dans le Pas-de-Calais où il travaillera comme mineur.

C'est avec son père, Raymond, musicien professionnel, que le petit André apprend l'accordéon dès l'âge de 4 ans. A six ans il animera son premier bal tandis que sa maman, Marie-Clémence, l'accompagne à la batterie (au premier plan sur la photo).
A 12 ans, le jeune André enseigne à son tour l'accordéon au sein de l'école d'accordéon de son père qui compte quand même 180 élèves !

Il étudie le solfège et l'harmonie.
Il n'a que 15 ans quand il reçoit ses premières récompenses : il est premier prix à Bruxelles puis à Paris.

En 1936 il remporte sa première compétition internationale d'accordéon. Ils sont 1000 à disputer le Championnat du Monde d'accordéon. André Verchuren reçoit la Coupe des main du roi Léopold III de Belgique.

Verchuren, résistant et déporté

La Deuxième Guerre mondiale faillit sonner l'arrêt de la jeune carrière de ce virtuose.

C'est pendant qu'il est sur scène que le musicien apprend la déclaration de guerre à l'Allemagne.
Pendant l'Occupation, Vichy interdit les bals dans toute la France jusqu'en 1945 mais Verchuren bravera cette interdiction.

Il s'engage dans la Résistance et cache des parachutistes alliés. Dénoncé, il est arrêté par la police française qui le remettra à la Gestapo. Après avoir été torturé, il est remis entre les mains des SS.

Le 2 juillet 1944 à 9h15, André Verchuren quitte la tristement célèbre gare de Compiègne-Royallieu sous les yeux de sa mère que les SS tiennent en joue.
Il part pour Dachau avec le sinistre convoi n° 7909, connu sous le nom de "Train de la mort" (sur 2162 déportés, 530 mourront pendant le transport et on compte seulement 947 survivants à la Libération).

Mais le jeune homme continue de résister : il brave les SS du camp en faisant chanter la Marseillaise à ses camarades pour le 14 juillet.
Affecté à un kommando de tri de vêtements, il "organise" des sous-vêtements pour les détenus qui meurent de froid mais à la suite d'une fouille, 4 de ses compères sont pris par les SS et abattus sur place pour avoir volé le grand Reich. Verchuren ne trouve qu'une solution pour échapper à la mort : pendant la fouille il avale morceau par morceau le caleçon supplémentaire qu'il porte sur lui !

A sa libération du camp il retouche pour la première fois un accordéon, dégoté on ne sait où, et dans la salle de douches il joue la Marseillaise et l'Internationale.
Mais pendant ses 13 mois de captivité, il a perdu 40 kilos et l'agilité de ses doigts. Il mettra plusieurs années pour retrouver sa virtuosité d'avant guerre. En 1966 il rencontre de Gaulle qui salue en lui le résistant.

Verchuren au delà des modes

Sa ténacité, son acharnement et une indéniable résilience ramène André Verchuren au premier plan.

En 1950 c'est la consécration de ses efforts : Radio Luxembourg organise une émission suivie par près de 10 millions d'auditeurs et qui met en compétition musette vs jazz. André Verchuren remporte les suffrages et cette victoire lui vaut la signature d'un contrat avec le label Decca.

Verchu et les Français : une histoire d'amour

En 1956 il est le premier accordéoniste à l'affiche de l'Olympia qu'il remplira pendant 3 semaines.
Pendant 30 ans il sera animateur sur RTL puis Europe 1.

Malgré le déclin de l'accordéon après les années yéyé et rock, l'étoile d'André Verchuren ne pâlit pas au cœur des Français car il est moderne, tout comme sa benjamine Yvette Horner. Il sort l'accordéon du carcan "musette" et les artistes à la mode (Claude François, Annie Cordy, Enrico Macias, etc.) l'aiment, les media l'aiment et même les présidents l'aiment !

Celui que les Français appellent désormais affectueusement "Verchu" parcourra des millions de kilomètres pour aller à la rencontre de son public. Plus de 10 000 galas, 40 millions de spectateurs, 777 albums enregistrés, 70 millions de disques vendus, sans compter les titres qu'il a composés, voilà de quoi remplir ses mémoires qu'il écrira en 1968 (Mon accordéon et moi).

En 2007 il fête ses 80 ans de carrière.
En 2013, suite à un arrêt cardiaque, il quitte définitivement la scène non sans laisser des titres de sa composition, inoubliables, tels Reine de Musette ou Perles de Cristal.